"Dans la vie, il arrive qu’on prenne des coups", prêche Paul Buress, pasteur de la Victory Baptist Church de Rochester, dans l’État de New York. Sa carrure de déménageur et son crâne rasé jurent avec sa voix presque fluette d’homme d'Eglise. Ajoutés à cela le T-shirt dépareillé, le blue-jean et le bandage sur son coude blessé, cet évangéliste fait davantage l’effet d’un catcheur à l’entrée du ring que d’un pasteur. Pourtant, religion et free fight forment un tout dans son esprit. "C’est une bataille qui se livre ici-bas, continue-t-il. L’ennemi nous cherche pour nous détruire, il veut détruire vos familles et vous détruire personnellement… C’est là que la Bible vous donne un entraînement."
Filmée et diffusée sur Internet, cette scène est entrecoupée de violents affrontements sur un ring octogonal et grillagé. Ce sont des extraits de combats d’arts martiaux mélangés — "mixed martial arts" (MMA) —, une discipline née aux Etats-Unis dans les années 90 et qu’enseigne Paul Buress à ses paroissiens : techniques de boxe pieds–poings ; saisies, projections et étranglements… Il organise même des compétitions autour de son église. "Peut-on aimer son prochain comme soi-même et, en même temps, le frapper au visage aussi fort que possible ?", interroge un paroissien particulièrement zélé. "À mesure que je progresse dans ma vie chrétien, continue-t-il, je prends conscience d’un conflit. Est-ce que cela a un impact positif sur ma foi ? (…) Je crois que le MMA et le christianisme peuvent s’accorder."
Ces scènes sont extraites d’un documentaire américain encore en production, Fight Church, prévu pour 2013. L’équipe du film continue de lever des fonds sur Kickstarter.com, mais déjà la nouvelle buzze sur le web, d’autant que l’un des réalisateurs, Daniel Junge, a remporté cette année l’Oscar du meilleur court métrage documentaire pour un autre film. "Je suis chrétien", confie-t-il sur le site Examiner.com. "Quand on m’a demandé de faire ce film, je ne savais pas quoi en penser. À première vue, ça me semblait mal (…) Après avoir rencontré Paul et passé du temps avec lui, j’ai réalisé que sa foi était sincère. Il aime Dieu et il aime les gens." À sa grande surprise, il a rencontré d’autres pasteurs adeptes de MMA : "des paroisses où l’on combat fleurissent dans tout le pays".
En 2010 déjà, rapportait le New York Times, le nombre d’églises où le free fight se pratiquait était estimé à 700. L’Association nationale des évangélistes voyait là une activité légitime pour sensibiliser les jeunes, au même titre que le rock, le skateboard ou encore le yoga. "Jésus était un guerrier", renchérit Brandon Beals, pasteur à l’église de Canyon Creek, dans l’État de Washington. Également connu sous le nom de "fight pastor", il se définit sur son site web comme "un ambassadeur du Christ auprès de la communauté du MMA" et "un ambassadeur du MMA pour la culture chrétienne". L’enjeu est aussi économique : des marques de vêtements dédiés aux "combattants chrétiens" se déploient sur Internet, comme "Jesus didn’t tap", "Fight 4 Christ" ou encore "Gladiators of Christ".
L’année dernière, un documentaire similaire à Fight Church a fait le tour du web américain et des festivals de films indépendants : réalisé par Nathan Clarke et Jeffrey Pohorski,Wrestling for Jesus suit le parcours d’un catcheur professionnel, Timothy Blackmon, qui met sur pied un ligue de combattants en Caroline du Sud, afin d’évangéliser le voisinage :
Aux Etats-Unis, la démarche n’est pas sans soulever des critiques. "Ce qui vous utilisez pour attirer les jeunes vers le Christ est aussi ce dont vous avez besoin pour les garder", déplorait Eugène Cho, pasteur à la Congrégation évangéliste de Quest Church, à Seattle, cité par le New York Times. Outre l’Église, le MMA compte encore bien des détracteurs ; il reste illégal dans quelques États américains et… en France. Le free fight christique n’est donc pas près de s’y exporter.